Les gentilshommes verriers

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http://herve.gros.nom.fr/verriers1.htm

Les nobles étaient d'abord des hommes de guerre. Ils pouvaient aussi cultiver la terre, mais non point se livrer à l'industrie ou au commerce.

Cependant, par exception, la verrerie était considérée comme un art noble. Cela ne voulait pas dire qu'on devenait noble en devenant verrier, mais qu'un noble pouvait exercer ce metier sans déroger. Un dicton du Moyen Age, relevé dans l'ouvrage de Gerspach dit que pour faire un vrai gentilhomme-verrier, il fallait d'abord trouver un noble né et en faire un bon ouvrier.

La noblesse d'alors acceptait assez mal ce partage de privilèges, elle appelait les verriers: "roturiers du verre". Boileau, qui raillait tant le poète français de Saint-Amand, descendant justement de la noblesse verrière, lui fit décocher par Meynard ce petit épigramme :

Votre noblesse est mince
Car ce n'est pas d'un Prince
Daphmis que vous sortez,
Gentilhomme de verre
Si vous tombez à terre
Adieu vos qualités.

Mais eux les rudes travailleurs des fournaises à verre, tenaient beaucoup à leur qualité de noble. Ils avaient le titre d'Ecuyer du Roi, portaient l'épée et le chapeau brodé. Ils possédaient cheval et chiens de chase et profitaient des privilèges de la noblesse.

La définition de la noblesse verrière par Gilles André de la Roque de la Lontière dans son Traité de la noblesse en 1678:

Par privilège du roy...

Les gentilshommes verriers ont toujours soutenu que leurs privilèges avaient été octroyés par le roi saint Louis qu'ils avaient suivi en croisade; en réalité c'est plus vraisemblablement à Philippe III le Hardi (règne : 1270-1285) son fils, qu'ils durent les privilèges attachés à la qualité de verrier.

Il n'existe pas de documents authentiques se rapportant à cette époque, mais le procureur du roi, Ignace Chrétien, disait: "ce n'est qu'après avoir versé leur sang et ruiné leur fortune que ces nobles obtinrent de la générosité du roi saint Louis une planche après leur naufrage."

Pour établir une verrerie, il fallait un privilège, c'est à dire une autorisation du roi donnée par lettre patente:

...En l'an 1330 fut donné le pouvoir par le roi Philippe IV à Philippe de Cazeray, ecuyer, premier inventeur des plats de verre appelé verre de France, comme portant son nom, de faire établir une verrerie proche Bézu en Normandie, qui fut nommée La Haye.

En Normandie, quatre familles nobles, les Caqueray, Bongars, Brossard et Le Vaillant, reçurent de tels privilèges pour l'établissement de grosses verreries fabriquant du verre à vitres.

Dans les petites verreries on soufflait vases, gobelets et verres à boire.

Les verriers bouteillers soufflaient bouteilles et flacons. Les patenôtriers fabriquaient chapelets, perles, boutons, bracelets, colliers en verre coloré ou émaillé.

Un des plus anciens privilèges octroyé aux verriers est un acte signé de Charles VII. Ce document, daté du 24janvier 1399, fait partie de la collection Moreau à la Bibliothèque nationale. On peut y lire que "Droicts et privilèges sont donnés à tous gens travaillant aux fours à verre. Permission est donnée aux nobles de naissance d'exercer le mestier de verrier sans déroger à leur "noble estat".

La charte des verriers lorrains.

En 1448, après les guerres qui par longue espace de temps ont reigné audit pays (la guerre de cent ans), quatre familles nobles de verriers lorrains obtenaient d'importants privilèges:
- Ils étaient autorisés à étabir ou rétablir des verrières ou voirrreries.
- Ils étaient dispensés de tous impôts et du logement des gens de guerre.
- Leurs marchandises pouvaient circuler librement sans payer aulcun passaige, gabaile, ni tributz quelconques.
- Ils avaient le droit de couper dans les forêts le bois nécessaire au chauffage au four et aux réparations des bâtiments moyennant une faible redevance.
- Ils pouvaient enfin chasser les bestes grosses et rousses à chiens et harnois de chasse et faire paître dans les bois 25 porcs par verrerie.

Pour tous ces droits et privilèges, le cens (ou la redevance) réclamé était souvent minime. En exemple, en 1416, les de Cacqueray, propriétaires exploitants de plusieurs verreries versaient "ung escu d'or" par année. D'autres 60 boisseaux d'avoine. En Lorraine, en l'an 1502, les de Hennezel (que l'on retrouve aussi en Languedoc) avaient à fournir au duc de Lorraine comme charge "ung petit assortiement de voèrres pour la table à chaque an". Jusque vers la fin du XVIème siècle, les gentilshommes-verriers vivaient comme de véritables patriarches. Leurs rudimentaires demeures construites sommairement et en pleine forêt tenaient beaucoup plus des cabanes de charbonniers ou de bûcherons que des somptuaires habitations des "aultres nobles du Royaume".
Les fréquents déplacements dans les forêts, à la recherche continuelle de combustible, leur dictait un batissemen rapide et simplifié. Il est vrai que la vie active menée par ces artisans du feu les obligeait à demeurer plus souvent autour du four qu'à l'intérieur de leurs rustiques maisons.

François Rochette et les trois frères de Grenier

Extrait d'une publication de 1932 du musée du Désert

Francois Rochette naquit en I736 à la Vigne, petit hameau de la région de Vialas, en Hautes-Cévennes, dans une famille pauvre mais zélée, qui avait fourni à la cause protestante plusieurs martyrs; élevé dans une atmosphère de foi et de piété, il résolut de se consacrer aux saintes fonctions du ministère, qui était souvent le chemin du martyre; il fut accueilli avec bien-veillance par le Synode du 23 mars I756, qui 1'envoya au séminaire de Lausanne, où il poursuivit ses études pendant plus de trois ans.

En janvier I760, il était de retour en France; par les soins du colloque du Haut-Languedoc, il fut consacré le 8 janvier I760 et accordé aussitôt à la province de l'Agenais, puis en juin I76I, il fut affecté à la province du Quercy, dont Montauban était le centre. Il trouvait, dans ce nouveau champ de travail, une tâche qui dépassait ses forces ; il avait, disait-il, << vingt cinq assemblées différentes à convoquer pour desservir les Eglises du Quercy; il était seul pour ce travail et pour subvenir aux visites des malades, à l'instruction des jeunes gens, à la célébration des mariages et des baptêmes >>.

C'est alors qu'il rencontra des familles de gentils-hommes verriers, qui, originaires des montagnes de l'Ariège, s'étaient fixées dans le Quercy, pour exercer leur profession à la verrerie de Haute-Serre, dans la forêt de la Grésigne; les trois frères de Grenier, qui furent ses compagnons de martyre, étaient nés en effet à Mauvesin, dans le comté de Foix.

Le ministère de Rochette, dans le Quercy, dura à peine quelques mois : fatigué et malade par suite de surmenage, il avait résolu de prendre les eaux minéra-les de Féneyrol, aux environs de Saint-Antonin; pour cela, il se mit en route, et le dimanche I3 septembre I76I il tenait une nombreuse assemblée à Bioule, chez la famille Brousse; de là, il partit en compagnie de Jean Viala, d'Anduze, et se rendit à Caussade, où il devait célébrer un baptême; vers minuit, il s'arrêtait à peu de distance de cette ville, au hameau de Gouzes, où il rejoignait un nouveau guide, Michel Valès; en chemin, ils rencontrèrent une vendeuse de gâteaux, qui profitait du clair de lune pour se rendre à Caussade, et ils s'écartèrent d'elle; mais cette démarche imprudente, jointe à la peur naturelle aux femmes, surtout pendant la nuit, persuada à celle-ci que c'étaient des voleurs; elle doubla le pas et les dénonça comme tels aux autorités de Caussade.

La patrouille, partie de Caussade, rejoignit vite les trois hommes, et, ayant surpris quelques contradictions dans leurs réponses, les arrêta, sans se douter qu'ils venaient de capturer un ministre. Conduits à Caussade, ils sont reconnus et enfermés dans la prison située derrière l'église. Ce lundi I4 était jour de foire à Caussade ; une nombreuse population rurale s'y trouvait, parmi laquelle beaucoup de protestants; ceux-ci étaient surtout atterrés par la capture de leur ministre, mais, sur les intrigues de Pierre Lavastrou, curé de Caussade, on feignit de croire à un rassemblement séditieux pour enlever Rochette et le venger; on fit sonner le tocsin, et il s'en suivit une explosion indescriptible de fanatisme et une agitation générale; les protestants s'attendaient à un massacre rappelant celui de la Saint-Bartélémy, car, pendant trois jours, Caussade et tous les environs étaient en état de siège. Ce déchaînement, qu'il eût été si facile aux autorités de faire cesser, allait causer de nouvelles victimes.

Le bruit de l'arrestation de Rochette arriva vite à Montauban et dans tous le pays; aussitôt, trois gentilshommes verriers du pays de Foix, établis dans le Montalbanais, se dirigent vers Caussade; c'étaient les trois frères de Grenier: Henri, sieur de Commel, âgé de 44 ans; Jean, sieur de Sarradou, âgé de 32 ans; Joachin, sieur de Lourmade, âgé de 22 ans, << grands, bien faits et de mérite, aussi éclairés sur la religion que le pourrait être un ministre, I'aîné, dit-on, ayant même la charge d'ancien parmi les réformés >>. Le I5 septembre, ils sont arrêtés à Grézel, entre Réalville et Caussade, déchirés, meurtris de coups et traînés ignominieusement en prison; ce n'est que le lendemain qu'ils peuvent obtenir du secours pour panser leurs blessures.

Le lendemain, on relâcha les prisonniers arrêtés au hasard dans ces tragiques journées, sauf onze d'entre eux, parmi lesquels, naturellement, Rochette et les trois gentilshommes; liés et garrottés, ils sont placés sur des chevaux et menés aux prisons de Cahors; à la fin de septembre, on les transféra à Montauban, puis, le 24 octobre, à Toulouse, où ils furent enfermés aux prisons de la Conciergerie du Palais.

Ce n'est que le I8 février que fut rendu l'arrêt qui condamnait le pasteur à être pendu, et les gentilshommes à être décapités. Le lendemain, à deux heures sonnées, ils sortirent des prisons, passèrent devant la cathédrale, où on essaya en vain de leur arracher une amende honorable, puis on s'achemina vers le lieu du supplice, qui était la place de la Monnaie; Rochette fut exécuté le premier et subit son supplice en chantant le psaume II8. Puis les trois frères s'embrassèrent et recommandèrent leurs âmes à Dieu, en tendant la tête au bourreau. << Tous subirent la mort avec une constance et une allégresse admirables; ils finirent comme des saints et des héros. >>. C'était le I9 février I762.

Rochette fut le dernier pasteur martyr du XVIIIe s.